Archives dossiers LN | Mariage pour tous: « Tous les enfants doivent bénéficier des mêmes droits »

LN n°22 | 3 septembre 2021

Le 26 septembre 2021, le peuple suisse doit décider s’il souhaite permettre le mariage à tous les couples sans distinction. Le 1er juillet dernier, lors de son assemblée générale ordinaire, le PLRN s’est prononcé en faveur du mariage pour tous. Michele Barone, membre des JLRN et impliqué dans la campagne, souligne, pour Libertés neuchâteloises, les avantages qu’induirait la modification du Code civil suisse pour les enfants de parents homosexuels.

 

 

Lors de leur action de campagne, le 25 août dernier, les Jeunes libéraux-radicaux neuchâtelois, accompagnés de Christophe Schwarb, conseiller général à la Commune de Neuchâtel (à gauche de la photo), et de Philippe Bauer, conseiller aux Etats (à droite, à côté de Michele Barone), ont fait accoster deux alliances flottantes, et donc symboliquement le mariage pour tous, sur le lac de Neuchâtel. (JLRN)

«Vous avez vu les affiches des opposants au mariage pour tous? Ce petit garçon en pleurs, à l’oreille trouée d’une étiquette portant les mentions ‹ commandé/livré ›?» Michele Barone, membre des Jeunes Libéraux-Radicaux neuchâtelois et impliqué dans la campagne en faveur du mariage pour tous, est révolté par celle des opposants à la modification du Code civil suisse soumise au peuple le 26 septembre prochain. «La procréation médicalement assistée, la PMA, n’est pas une machine à bébés! Sa réglementation et ses procédures sont précises et permettront, en cas de oui le 26 septembre, d’offrir une protection et des garanties légales aux couples de femmes et à leurs enfants, notamment de connaître leurs origines.»

Aujourd’hui en Suisse, la situation se résume ainsi: les couples hétérosexuels peuvent se marier, mais les couples homosexuels ont uniquement accès au partenariat enregistré (une possibilité qui est par ailleurs exclue pour les couples hétérosexuels, sauf à Neuchâtel grâce au partenariat cantonal), sans accès à la PMA ni à l’adoption conjointe. «Alors que le mariage est inscrit dans le Code civil suisse, une loi dédiée règle le partenariat enregistré», précise Michele Barone. Les termes définissant les deux unions diffèrent d’ailleurs : «Le premier est une célébration durant laquelle le couple se jure fidélité, le deuxième un enregistrement qui engage au respect réciproque. Les termes sont plus faibles dans la loi sur le partenariat enregistré, alors que l’amour est aussi fort !», déplore le jeune homme.

Absence de reconnaissance légale

D’autre part, la pluralité des familles, dont une partie non considérée par les lois existantes, est une réalité en Suisse. « Il existe, aujourd’hui même, de nombreux couples homosexuels avec enfants, mais ceux-là n’ont pas les mêmes garanties que ceux issus de couples hétérosexuels : dans un couple de mamans, si l’une des deux donne naissance à un enfant – par exemple grâce à une PMA réalisée à l’étranger ou un don de sperme d’un homme connu du couple, avec tous les risques sanitaires et problèmes de reconnaissance légale que ces procédures engendrent –, la deuxième ne peut accéder à l’adoption qu’après une longue procédure. Délai pendant ou après lequel un autre enfant peut naître et doit également patienter le temps d’une nouvelle procédure avant que sa deuxième maman ne puisse l’adopter, générant ainsi une inégalité avec son aîné déjà adopté. Par exemple, en cas de décès de la deuxième maman, l’aîné héritera et sera considéré comme orphelin, mais pas le cadet », soupire Michele Barone.

Pour les couples d’hommes, la situation se corse. « La gestation pour autrui, la GPA, étant interdite en Suisse à tous les couples, je n’ai pas besoin de vous faire un cours pour vous apprendre qu’un couple d’hommes n’a pas d’autre choix que l’adoption pour devenir parent, mais il faut préciser que celle-ci n’est aujourd’hui permise qu’après trois ans de vie commune, si l’un des deux papas est déjà le père biologique ou adoptif de l’enfant et que cet enfant n’a par ailleurs pas déjà un deuxième parent. » En cas d’acceptation du mariage pour tous le 26 septembre, tous les couples auront accès à l’adoption conjointe.

«En tant que libéral, j’estime que personne n’a à dicter de mode de vie à qui que ce soit : chacun doit être libre d’organiser sa vie comme bon lui semble.»

Michele Barone, membre des JLRN, engagé dans la campagne en faveur du mariage pour tous

Figures parentales capables

Quant aux propos des opposants au mariage pour tous axés sur un supposé mal-être des enfants grandissant dans des foyers ne suivant pas le schéma « un enfant a un papa et une maman », Michele Barone les balaie. « Les capacités parentales ne dépendent ni du sexe d’un individu ni de son orientation sexuelle. L’enfant a besoin de figures parentales capables de l’élever avec amour et soin. Les familles recomposées aux multiples figures parentales – même issues de couples hétérosexuels ! – sont d’ailleurs déjà une réalité. »

Héritage, garde de l’enfant en cas de décès ou de dissolution du partenariat – le mot divorce étant réservé aux couples mariés –, obligation d’entretien : les inégalités de traitement entre les enfants issus de couples homosexuels ou hétérosexuels sont actuellement grandes. Or, « tous les enfants doivent bénéficier des mêmes droits en Suisse », souhaite Michele Barone.

Satisfait par l’avancée que l’acceptation de la modification du Code civil suisse engendrerait pour tous les couples, il souligne que « donner à tous les enfants le droit d’avoir deux parents légalement reconnus n’enlève rien à personne. Enfin, en tant que libéral, j’estime que personne n’a à dicter de mode de vie à qui que ce soit : chacun doit être libre de mener et d’organiser sa vie comme bon lui semble, et l’Etat n’a pas à établir de différenciation ou de hiérarchie entre les couples», assène Michele Barone.

L'amour est (très) libéral

Le point de vue des JLR Suisse en matière de politique familiale

 

« Le mariage, les fiançailles et le partenariat enregistré devraient être abolis en tant que conception de droit civil. A la place, nous demandons l’introduction d’une communauté de responsabilité, qui peut être librement conçue dans le cadre de la loi. Elle est ouverte à tous les partenariats avec plus d’une personne, y compris les relations polygames. » En mars 2021, les Jeunes libéraux-radicaux Suisse publient, sur leur site internet, un papier de position visant à organiser à l’avenir une politique familiale totalement libérale.

« L’Etat doit définir la loi et donner un cadre juridique, notamment pour protéger les enfants issus de toutes les formes de relations amoureuses, mais il doit faire preuve de flexibilité quant à sa manière de définir l’amour entre individus », estime Fabian Kuhn, responsable des cantons au sein des JLR Suisse et co-auteur du texte.

Imposition individuelle des personnes physiques aux trois niveaux fiscaux, libre accès à la gestation pour autrui, au don de sperme et à la fécondation in vitro, adoption facilitée indépendamment de son état civil, congé parental librement réparti au sein du couple, simplification de l’accès à l’accueil extra-familial pour enfants ou encore abolition du droit à une part réservataire des descendants sont au nombre des exigences des JLR Suisse.

« L’amour ne se limite pas à deux personnes »

«Notre ambition n’est pas de choquer, mais de simplifier la loi et de donner un cadre légal également aux personnes pour lesquelles la conception de l’amour ne se limite pas à deux personnes », souligne Fabian Kuhn. Polygamie, couples libres, « notre société libérale présente de nombreux modes de vie qu’il est nécessaire d’encadrer juridiquement. » Par un contrat assez flexible, « dans lequel chaque communauté de responsabilité peut modifier à sa guise, ajouter ou exclure certaines dispositions en s’autodéterminant, ce qui n’est aujourd’hui possible que dans une mesure très limitée », les JLR Suisse souhaitent que l’accès aux mêmes droits et obligations soit accordé à tous les modes de partenariat.

Le point de vue de Philippe Bauer, conseiller aux Etats, membre de la Commission des affaires juridiques

« L’Etat n’a pas à décider qui est digne de former un couple »

Philippe Bauer, le mariage pour tous est-il constitutionnel?

Bien sûr. L’article 14 Cst. garantit le droit au mariage dans le sens que le constituant de l’époque voulait notamment éviter que certaines personnes ne puissent pas se marier pour des questions de nationalité ou financières, par exemple. Il ne voulait dès lors pas limiter le droit au mariage à l’union d’un homme et d’une femme. L’article 122 Cst. donne par ailleurs à la Confédération la compétence de légiférer en matière de droit civil.

Existe-t-il d’autres exemples de modification du code civil en matière de famille qui n’ont pas nécessité de changer la Constitution?

Quand le régime matrimonial de la participation aux acquêts a succédé à celui de l’union des biens, les relations financières entre les époux ont été modifiées de manière très importante, mais personne n’a jugé nécessaire à l’époque de modifier la Constitution. Il en a été de même lorsque la notion de faute dans le divorce a été supprimée ou que l’âge légal du mariage est passé de 20 à 18 ans pour tous sans exception (les femmes pouvaient auparavant contracter mariage dès l’âge de 18 ans avec le consentement de leurs parents). La modification du Code civil suisse soumise au peuple le 26 septembre prochain ne fait qu’offrir à un certain nombre de couples la possibilité de régler par la loi les conséquences financières de leur union. Il n’est donc aucunement nécessaire de modifier la Constitution.

Selon le Code civil suisse, le mariage n’est donc que financier?

Effectivement. Il s’agit presque d’une assurance sociale qui règle avant tout les obligations financières des époux durant le mariage et les conséquences financières de la séparation, du divorce ou du décès d’un des conjoints. Lorsqu’au sein du couple un des partenaires n’a pas eu d’activité lucrative, le Code civil suisse permet d’éviter que celui-ci ne se retrouve dans le dénuement. Il est dès lors juste que tous les couples bénéficient des mêmes droits et des mêmes obligations, l’Etat n’ayant pas à décider qui est digne de former un couple.

Anthea Estoppey, journaliste, rédactrice en chef