Archives dossiers LN | LRCR: « Le peuple doit avoir le dernier mot ! »

LN n°21 | 20 août 2021

Le peuple neuchâtelois doit-il être l’organe qui décide de reconnaître ou non d’intérêt public les communautés religieuses autres que les trois déjà reconnues par l’Etat? Pour le PLRN, la réponse est oui. Fort du succès de son référendum qui conduit à la votation du 26 septembre prochain, le parti recommande donc de rejeter la LRCR.

Aux côtés de l’Eglise réformée évangélique et de l’Eglise catholique chrétienne, l’Eglise catholique romaine, dont fait partie la Basilique Notre-Dame-de-l’Assomption à Neuchâtel, est reconnue comme institution d’intérêt public par l’Etat de Neuchâtel. (Claude Comte)

Mardi 1er septembre 2020 : au terme de débats parfois houleux, le Grand Conseil neuchâtelois refuse que le peuple se prononce systé-matiquement sur la reconnaissance d’intérêt public de nouvelles communautés religieuses. Le lendemain matin, par 62 voix contre 43, le Parlement accepte le projet de loi (LRCR) proposé par le Conseil d’Etat. Estimant que ce texte empêche le peuple de s’exprimer sur ce sujet, des députés libéraux-radicaux lancent dès le jeudi un référendum : « Religions, la parole au peuple ! » En mars 2021, plus de 5 000 paraphes – dont une partie récoltée par l’UDC – sont remis à la Chancellerie cantonale. Du succès de ce référendum découle la votation populaire prévue le 26 septembre prochain.

Coïncidant avec la deuxième vague de la pandémie de Covid-19 et les restrictions sanitaires qui lui sont liées, la récolte des 4 500 signatures nécessaires à cet aboutissement s’est pourtant avérée délicate et a même été interrompue pendant plusieurs mois. « Mais  au-delà de l’actualité sanitaire qui supplantait la possibilité de cristalliser le débat autour de la question de la reconnaissance de nouvelles communautés religieuses, une certaine difficulté, de la part de la population rencontrée, à comprendre les enjeux démocratiques et sociétaux est surtout ressortie », estime aujourd’hui Jean-Daniel Jeanneret, membre du Comité référendaire.

« Le peuple a toujours raison ! Doit-on lui confisquer un droit pour le préserver d’une possible discrimination ? Voilà une manière bien étrange d’envisager la démocratie ! »

Jean-Daniel Jeanneret, membre du Comité référendaire

Peuple bâillonné

Enjeu principal, selon lui, la difficulté pour le peuple de se prononcer après une reconnaissance par le Parlement, difficulté induite par le projet de loi. « Telle que ficelée par la majorité de gauche du Grand Conseil, la loi rend quasiment impossible, ou en tout cas très hypothétique, le recours à un vote populaire en cas de reconnaissance par le Parlement d’une communauté religieuse », détaille Jean-Daniel Jeanneret. Hypothétique aux yeux du Comité référendaire, car il faudrait que trente députés demandent explicitement un tel recours. « Acceptée par le Grand Conseil, une reconnaissance serait alors presque inscrite dans le marbre. Ses effets sur l’avenir de notre société doivent être pris en considération. »

Selon la loi soumise au peuple le 26 septembre prochain, pour qu’une demande soit acceptée par le Grand Conseil, il faudrait toutefois que cette décision bénéficie d’une majorité des trois cinquièmes de l’hémicycle : n’est-ce pas un garde-fou suffisant ? « Non, car ce sujet extrêmement délicat peut être stigmatisant pour les députés. Ils pourraient subir d’importantes pressions ou devoir se récuser s’ils appartiennent eux-mêmes à la communauté en question », estime le Comité référendaire.

Quid du danger de discrimination par le peuple dont parlent certains défenseurs de la loi soumise au vote ? « Le peuple a toujours raison ! Doit-on lui confisquer un droit pour le préserver d’une possible discrimination ? Voilà une manière bien étrange d’envisager notre démocratie ! Le peuple doit avoir le dernier mot sur un sujet aussi important pour notre République ; il l’a pour des dossiers pouvant parfois sembler futiles, cela nous semble étrange qu’il puisse en être privé dans ce contexte », assène Jean-Daniel Jeanneret.

Vers un Etat encore plus laïque ?

Autre enjeu du débat, la reconnaissance d’intérêt public de nouvelles communautés religieuses entraînera automatiquement l’octroi de certains droits à la communauté en question. « Il ne s’agit pas seulement de reconnaître son existence, mais également de lui permettre de jouir de prestations de l’Etat, notamment l’accès à la perception de l’impôt ecclésiastique, à certaines subventions et à des locaux scolaires pour l’enseignement religieux », précise Jean-Daniel Jeanneret.

Derrière cette réponse, doit-on percevoir une volonté du comité référendaire d’éviter que toute autre communauté religieuse ne soit reconnue par l’Etat ? « Notre référendum ne pose pas la question fondamentale de l’éventualité d’une plus nette séparation entre l’Etat et les communautés religieuses, mais refuser la LRCR permettrait peut-être de mener ce débat de fond. A ce stade, en admettant qu’on puisse reconnaître de nouvelles communautés, le Comité référendaire demande avant tout que le processus soit démocratique, par le biais d’un référendum  obligatoire. »

Sachant que la loi soumise au peuple le 26 septembre prochain vise à donner un cadre à un principe inscrit depuis vingt ans dans la Constitution neuchâteloise, Jean-Daniel Jeanneret espère que si la copie est, comme il le souhaite, renvoyée au Conseil d’Etat, celui-ci propose, « au minimum, un projet de loi incluant le référendum obligatoire pour toute reconnaissance d’intérêt public de nouvelles communautés religieuses. »

Dans les autres cantons romands…

Fribourg reconnaît l’Eglise catholique romaine et l’Eglise réformée évangélique. Le Conseil d’Etat peut octroyer des prérogatives de droit public à une communauté confessionnelle si celle-ci remplit les conditions requises, mais, selon Jean-Daniel Jeanneret, «ce n’est pas une reconnaissance formelle et les prérogatives ne sont pas de nature à faire l’objet d’un référendum.»

Genève ne reconnaît pas les communautés religieuses. Sa loi sur la laïcité de l’Etat précise, à l’article 3, que «L’Etat est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.» Le Jura reconnaît comme « collectivités de droit public » l’Eglise catholique romaine et l’Eglise réformée évangélique. Sa loi concernant les rapports entre les Eglises et l’Etat indique que « le Parlement peut reconnaître comme telles d’autres Eglises importantes et durables », « théoriquement avec référendum facultatif », note Jean-Daniel Jeanneret.

Le Valais confère, sans autre commentaire, un statut de droit public à l’Eglise catholique romaine et à l’Eglise réformée évangélique. Enfin, Vaud reconnaît comme institutions de droit public l’Eglise évangélique réformée ainsi que l’Eglise catholique romaine et soumet la reconnaissance de nouvelles communautés religieuses au référendum facultatif.

Le point de vue de

Olivier Favre, pasteur évangélique au Centre de Vie à Neuchâtel et conseiller général à Hauterive

Olivier Favre, quelle est la situation de l’Eglise évangélique dans le canton de Neuchâtel ?

Depuis des décennies, la Fédération évangélique neuchâteloises, la FEN, regroupe les églises évangéliques du canton. Il faut savoir que ces églises comptent cinq à six mille évangéliques dont la plupart sont impliqués non seulement dans leur église, mais également dans le secteur social. Dès l’adoption de la Constitution il y a vingt ans, la FEN a demandé, à plusieurs reprises, une reconnaissance d’intérêt public de la part de l’Etat. Ce n’est pas l’argent qui nous intéresse, mais bien la possibilité d’être reconnus comme un partenaire à part entière, ce qui nous permettrait de nous sentir davantage impliqués dans la société en contribuant par exemple aux aumôneries d’hôpitaux ou de prisons.

Qu’est-ce que la loi sur la reconnaissance d’utilité publique des communautés religieuses (LRCR) changerait pour la FEN ?

D’un point de vue fiscal, pas grand-chose, car nos églises sont depuis toujours exonérées d’impôts au même titre qu’un club sportif ou que les Eglises reconnues et la subvention que celles-ci touchent reste modeste. Symboliquement, une reconnaissance d’utilité publique serait toutefois très dynamisante pour notre communauté et permettrait un meilleur dialogue entre ses membres et l’opinion publique qui ne nous considère pas toujours comme des chrétiens convenables, mais plutôt comme des fondamentalistes voire des sectes.

Que répondez-vous à l’argument de votre parti qui estime que la LRCR prive le peuple de s’exprimer ?

Je comprends cette inquiétude, mais le Grand Conseil représente le peuple. Au final, je ne redoute toutefois pas que la décision revienne directement au peuple ainsi que le demande le référendum, mais je crains, en revanche, qu’en cas de refus de la LRCR le 26 septembre tout soit à nouveau bloqué pour plusieurs années. 

Anthea Estoppey, journaliste, rédactrice en chef