Le paradoxe américain

Libertés neuchâteloises n°12 - Edition du 1er juillet 2022

Le 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats-Unis a décidé de revenir sur l’arrêt historique Roe contre Wade qui reconnaissait depuis près d’un demi-siècle le droit à l’avortement aux Etats-Unis. Les Etats-Unis vont donc revenir à la situation d’avant 1973, quand chaque Etat était libre d’interdire ou d’autoriser l’avortement. Attachée au fédéralisme helvétique, cette décision de donner davantage de pouvoirs aux Etats pourrait être vue d’un bon œil. Or, les annonces faites depuis celle-ci nous amènent à craindre le pire.

Image d'illustration. (Pexels)

Dès vendredi, le ministre de la justice du Missouri a ainsi annoncé que son Etat devenait le premier à interdire la pratique de l’interruption volontaire de grossesse sur son territoire. Une douzaine d’Etats ont déjà adopté des législations de cette nature.

Les Etats-Unis, pourtant ardents défenseurs de la liberté, signent ainsi une démarche totalement contradictoire. Les anti-avortement brandissant le droit à la vie comme slogan saluent avec un ton tout aussi enthousiaste la décision de la même Cour suprême consacrant le droit des Américains à sortir armés de leur domicile. Le droit à la vie pour les embryons, mais le droit de tuer pour se défendre à coups d’arme à feu… C’est là toute l’ambiguïté d’un pays qui étonne, déçoit et préoccupe de plus en plus sérieusement.

En remettant en cause le droit à l’avortement, les Etats-Unis cessent d’incarner la liberté. Celle des femmes de pouvoir disposer de leur corps, mais bien souvent aussi celle de prendre la décision la moins pire. Mettre un terme à une grossesse n’est certes pas une décision anodine, mais elle appartient uniquement à la femme concernée. Personne ne peut et ne doit l’y contraindre.

Une telle décision n’est pas un acte féministe, mais personnel qu’une femme doit pouvoir prendre en toute connaissance de cause dans un cadre défini. C’est ce cadre que viennent d’abolir les Etats-Unis, replaçant ainsi des milliers de femmes dans des situations de détresse extrême, se voyant, pour ne prendre que quelques exemples, contraintes de garder un enfant dont on sait qu’il ne sera certainement pas viable, de garder le fruit d’un viol ou encore de voir sa vie changée à jamais, privée d’une adolescence insouciante.

En Suisse, l’interruption volontaire de grossesse n’est actuellement pas punissable si un avis médical démontre qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou d’un état de détresse profonde de la femme enceinte. Le danger devra être d’autant plus grave que la grossesse est avancée.

L’interruption de grossesse n’est pas non plus punissable si, sur demande écrite de la femme qui invoque qu’elle se trouve en situation de détresse, elle est pratiquée au cours des douze semaines suivant le début des dernières règles par un médecin habilité à exercer sa profession. Le médecin doit au préalable s’entretenir lui-même de manière approfondie avec la femme enceinte et la conseiller.

Il est impératif de continuer à nous engager pour que le cadre légal fixé en Suisse demeure tel qu’il est actuellement, afin que les Suissesses puissent conserver le droit de choisir en toutes circonstances et en toute connaissance de cause.

Béatrice Haeny, présidente du groupe libéral-radical au Grand Conseil neuchâtelois