Armelle von Allmen, comment expliquer le chiffre alarmant révélé par l’Université de Berne?
L’activité agricole est exigeante vu le niveau des prix à la production, la pénibilité du travail et le carcan législatif fédéral. Au-delà des questions économiques, l’agriculture est confrontée depuis quelques années à des remises en question politiques régulières – par initiatives populaires – qui finissent par affecter le moral des familles paysannes, attachées à leur rôle fondamental de producteur·trices de denrées alimentaires.
Je rajouterais en plus que certaines fermes sont isolées et l’isolement peut également augmenter le risque de dépression et de suicide. De même, l’agriculture est un monde de «taiseux». On ne parle pas beaucoup de notre état psychique.
Que révèle cette étude sur le fond, quelles sont les raisons qui poussent les agriculteurs au suicide?
Le monde agricole a une très forte pression financière. En plus, on se sent peu valorisé. Il découle de cette situation une grande frustration et un sentiment d’injustice.
Comment expliquer que le milieu agricole soit plus touché que d’autres secteurs?
Nous sommes à la merci de la météo, de la santé du bétail, des décisions politiques, de l’avis de chaque «clampin». On vit des choses intenses du matin au soir. On est contraint de se lever tôt même si on a veillé toute la nuit un vêlage difficile qui a entraîné la mort d’un veau par exemple.
On s’occupe bien de nos terres, mais une mauvaise météo peut balayer toutes nos récoltes. On est traité·es de pollueur·euses parce qu’on a essayé de sauver la récolte avec des produits phytosanitaires. Au niveau des exigences fédérales, on nous demande en même temps de sortir les vaches tous les jours, même sous une forte pluie, mais en même temps les vaches ne doivent pas faire de dégâts au sol car les «bourbiers» sont interdits.
Est-il possible de diminuer cette pénibilité du travail?
Avec des horaires à rallonge, certains commencent à 5h et finissent à 20h, il peut être difficile de trouver de quoi se ressourcer ou des échappatoires à son quotidien. Il faut aussi noter qu’il est extrêmement difficile de trouver des employés ou des remplaçants agricoles. En cas d’accident, certains n’ont pas le choix de continuer à travailler. C’est forcément compliqué et ça touche le moral.
Le canton de Vaud a mis en place un certain nombre de mesures pour éviter cette situation. Quelles sont-elles?
Oui en effet, le projet soutient des personnes en situation fragilisée. Face au mal-être, s’il n’y a pas danger immédiat, il faut pouvoir soulager la personne grâce à un travail centré sur elle-même et l’accompagner vers des choix pour son entreprise, en cohérence avec sa situation et le contexte. C’est un travail de fond qui est né en 2016, de la volonté politique du Conseil d’Etat et de la direction générale de l’agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires. Mais il a fallu les suicides de seize agriculteurs·trices la même année pour que le monde politique réagisse.
Que peut faire le canton de Neuchâtel pour éviter que cette tendance se poursuive?
La formation en 2018 avait donné des clés aux professionnels pour détecter des situations à risque et pour les former au cas où ils se retrouvent avec une personne suicidaire. Cette formation avait été très utile pour la branche et il est important qu’elle soit proposée à intervalle régulier. Mais je pense que le plus important est de pouvoir donner du souffle aux agriculteurs en cherchant à stabiliser la politique agricole. Cela fait une dizaine d’années que l’on subit des changements.
Nous attendons du canton qu’il soit pragmatique dans sa gestion des contrôles des agriculteurs et qu’il utilise sa marge de manœuvre pour diminuer la charge administrative. Les agriculteurs doivent se mobiliser avec vigueur pour l’Alliance neuchâteloise et éviter de voir une conseillère d’Etat verte telle que Céline Vara entrer au Gouvernement.
Vous qui êtes du milieu, qu’est-ce qui peut être si désespérant dans votre métier?
A titre personnel, ce qui peut être désespérant, c’est quand il y a une accumulation d’ennuis dans une même journée. On est toujours à la merci de la météo, de la santé du bétail (maladies, épizooties), du fonctionnement des machines, des changements de politique de nos acheteurs, de la Confédération ou des cantons. Sans compter les problèmes usuels des PME (fiscalité, embauches, formations). Ça fait beaucoup.
Qu’auraient pu faire les politiques et la société en général pour éviter qu’on en arrive là ?
Je crois que la chose numéro une serait de faire confiance à l’agriculteur.trice et à sa bonne foi. Les nouvelles constructions engendrent également des charges financières importantes et ces nouvelles constructions sont souvent obligatoires à cause des nouvelles normes. Les crédits pour les améliorations structurelles ont donc tout leur sens. En cas de mauvaises récoltes, les pertes financières pèsent sur le moral des agriculteurs.
II faut améliorer les partenariats entre les agriculteurs, les acheteurs et les autres acteurs de la branche pour trouver des solutions.
Propos recueillis par Raphaèle Tschoumy